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Yahya Sinouar, chef militaire et politique radical du Hamas, architecte de l’attaque du 7-Octobre, est mort

L’armée israélienne s’attendait à trouver Yahya Sinouar quelque part dans le réseau des tunnels qu’il a contribué à agrandir et à perfectionner, depuis son retour à Gaza en 2011. C’est pourtant en plein jour, plus d’un an après une guerre meurtrière, qu’il a été tué, lors d’une patrouille de l’armée israélienne dans le sud de l’enclave.
Il est né en 1962 dans le camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de l’enclave, où avaient échoué ses parents, originaires d’Ashkelon, lors de la Nakba, l’exode forcé de quelque 700 000 Palestiniens à la création de l’Etat d’Israël, en 1948. Dans cette époque troublée, la ville délaissée devient un bastion des Frères musulmans, un mouvement islamiste né en Egypte contre l’occupant britannique.
Sa conscience politique se forme, surtout après son entrée à l’université islamique de Gaza, fondée par les mêmes Frères musulmans, où son activisme lui vaut une première arrestation par les autorités israéliennes, à 19 ans, en 1982, alors que l’enclave est occupée par Israël depuis 1967. Il est de nouveau arrêté en 1985, ce qui lui fait gagner la confiance d’un certain Ahmed Yacine, qui fondera le Hamas en 1987.
Yahya Sinouar forme alors, avec un petit groupe de militants radicaux, plus combattants qu’apparatchiks, le premier appareil de renseignement et de sécurité du mouvement islamiste palestinien, qui sera nommé « Al-Majd », « la gloire ». Le groupe se consacre à la chasse aux Palestiniens collaborant avec Israël et lutte plus largement contre tous ceux qui dévient trop ouvertement de l’idéologie islamiste de l’organisation.
Son but : renforcer l’organisation de l’intérieur, quitte à interroger, torturer et tuer lui-même ses victimes, comme il s’en est vanté auprès des Israéliens – et qui lui a valu son surnom, « le Boucher de Khan Younès », sa ville d’origine. Arrêté par les Israéliens en 1988, il est condamné à quatre peines de prison à vie pour le meurtre de douze Palestiniens considérés par le Hamas comme des collaborateurs avec l’Etat hébreu.
Il est incarcéré pendant vingt-deux ans. Durant sa détention, il s’impose comme un leader auprès des autres prisonniers palestiniens. Et apprend l’hébreu. Le colonel de réserve de l’armée israélienne, Doron Hadar, qui l’a rencontré à plusieurs reprises, décrivait en août au Monde un « réaliste ». « Il connaît très bien les Israéliens. Il lisait nos journaux, regardait nos émissions de télévision. C’est aussi un narcissique avec des objectifs maximalistes, qui a besoin de tout le temps garder le contrôle », ajoutait M. Hadar.
Yahya Sinouar est libéré en 2011 dans le cadre d’un accord où 1 027 prisonniers palestiniens sont échangés contre le soldat israélien Gilad Shalit, captif du Hamas pendant cinq ans. Il troque une prison pour une autre : il est relâché à Gaza, mais l’enclave est assiégée par un blocus israélo-égyptien depuis que le Hamas en a pris le contrôle exclusif, en 2007, à la suite d’une brève guerre civile intrapalestinienne.
Yahya Sinouar s’impose très vite parmi les chefs du mouvement islamiste dans l’enclave. En 2013, il est élu membre du bureau politique. En 2017, il devient le chef du Hamas dans la bande, et impose une ligne de plus en plus radicale, alors que toutes les tentatives de rompre le blocus, par la force ou par la négociation, échouent. Sa figure émaciée, ses provocations calculées forment sa signature. En 2018, d’immenses manifestations sont encouragées par le Hamas à la frontière de l’enclave. Les balles israéliennes fauchent ceux qui s’approchent très près. Il rugit, à cette occasion : « Nous franchirons la frontière et nous arracherons leurs cœurs de leurs corps ! »
Sous son règne, le Hamas devient un groupe armé opérationnel. Il fabrique ses propres roquettes, de plus en plus nombreuses, et à la portée de plus en plus grande. Ses troupes s’entraînent régulièrement, y compris lors d’exercices conjoints avec les membres de la cellule d’opérations commune, qui unit les factions combattantes de Gaza. Une force d’élite, l’unité Noukhba, et certains de ses membres vont s’entraîner en Iran. La défense n’est pas négligée : le réseau de tunnels est agrandi et perfectionné. Au lieu de s’évertuer à le faire passer sous la frontière pour aboutir en Israël, ses ingénieurs conçoivent un véritable labyrinthe qui atteindrait 500 kilomètres dans l’enclave.
Les tentatives de réconciliation avec le Fatah échouent les unes après les autres. Pourtant, en 2021, la donne semble changer : après d’intenses négociations, Mahmoud Abbas, le leader de l’Autorité palestinienne, consent à l’organisation d’élections pour le Conseil législatif, prévues le 22 mai ; avant de les reporter sine die. Une dizaine de jours après, éclate une brève guerre entre le Hamas et Israël. Puis, le Hamas se tient tranquille. Il reste en retrait quand l’armée israélienne attaque son allié, le Jihad islamique palestinien. En acceptant l’octroi de permis de travail à des milliers de travailleurs gazaouis, Yahya Sinouar crée l’illusion d’une organisation en voie de notabilisation.
Principal architecte de l’attaque lancée le 7 octobre 2023, la plus meurtrière de l’histoire d’Israël, il espérait provoquer « l’effondrement » de l’Etat hébreu, selon des documents analysés par le New York Times et le Washington Post. Et il imaginait qu’il serait suivi par ses alliés au sein de l’« axe de la résistance », l’Iran et le Hezbollah. Mais ceux-ci mesurent leurs coups contre l’Etat hébreu, en dépit d’un soutien affiché et de tirs réguliers du mouvement chiite libanais sur le nord d’Israël puis d’attaques iraniennes largement déjouées par l’Etat hébreu et ses alliés.
Le 7-Octobre est aussi une gigantesque prise d’otages, avec la capture de 251 personnes du côté israélien. Si près de la moitié est libérée lors d’un échange au mois de novembre 2023, Yahya Sinouar maintient une position dure lors des négociations qui suivent, alors que de son côté Benyamin Nétanyahou délaisse la priorité affichée pour la libération des otages.
En août, alors que Gaza vit la guerre la plus brutale de son histoire, Yahya Sinouar est élu, à 61 ans à la tête du bureau politique de l’organisation, après l’assassinat de son prédécesseur, Ismaïl Haniyeh, le 31 juillet, dans une attaque attribuée à Israël en Iran. Traqué, il aura tenu un an, pour finir par être tué dans l’enclave qui l’a vu naître, après une attaque qui a provoqué la ruine de Gaza et la mort de plus de 42 000 Palestiniens, tués par l’armée israélienne, selon le ministère de la santé du Hamas, un chiffre validé par les organisations internationales.
Samuel Forey (Jérusalem, correspondance)
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